Écureuil
Je me suis levé à Strasbourg ce matin. J’ai fini par m’endormir correctement une demi-heure après avoir pris une pastille de mélatonine vers 3 h du matin. La réception de l’auberge de jeunesse m’a docilement attribué une nouvelle chambre, une fois que je leur ai proposé la solution évidente. J’étais surpris qu’ils n’aient pas de boules Quies à me vendre quand je me suis présenté avec un haut de pyjama et le jean baggy de la veille que j’ai enfilé pour la forme.
« Il y a un gars qui ronfle dans la chambre, et je n’arrive pas à dormir » je réussi à formuler à moitié réveillé.
— Vous avez essayé les écouteurs ? répond-il.
— Oui, ça ne marche pas. Vous n’auriez pas des boules Quies ou quelque chose ? dis-je en m’attendant à ce que ce problème soit si courant qu’ils en auraient forcément.
— Non, malheureusement, non. Je n’ai rien à vous proposer.
Il y a un temps de pause. Je n’arrive pas à réagir. Je suis fatigué mais fatalement réveillé. Ça faisait déjà quelques heures que je combattais le bruit du ronflement de mon voisin du lit au-dessus de moi. Je m’étais couché tôt dans l’idée de prendre le train de 7 h 15 pour rentrer à Paris de bonne heure et écrire au lever du jour dans le train.
À 1 h du matin, j’avais trouvé l’énergie de fouiller la poche avant de mon Eastpak noir où je range systématiquement mes écouteurs. Manque de chance, je n’ai pas investi dans des AirPods anti-bruit, et sur le moment, je me dis que ça serait bien de le faire quand même. Je les enfonce dans mes oreilles malgré tout et je pianote sur mon iPhone pour découvrir ce qu’il se fait comme playlist sur Spotify. Je m’aperçois avec de l’espoir qu’il y a effectivement des personnes qui ont prévu le coup. Je suis tombé sur un choix important de playlists « anti-ronflement ». Des playlists de 10 h pour survivre la nuit entière. Certaines avec le bruit de la pluie. D’autres pour imiter la cabine d’un avion, précisant 145 GHz, ce que je n’ai pas trop compris sur le moment. Je me disais que j’étais peut-être sauvé. J’ai testé. J’ai testé la pluie. C’est inefficace. J’ai testé la cabine de l’avion. C’est déjà mieux, mais le volume est tellement fort. Mes écouteurs commençaient à me gêner puisque je dors recroquevillé, le visage appuyé contre l’oreiller. Je me décide de les enlever. Je ne me rends pas compte que mon téléphone continue à jouer la cabine de décompression de l’avion. En revanche, je m’aperçois que mon voisin libanais, surpris nu quelques heures plus tôt en découvrant ma chambre, respirait particulièrement fort.
« Vous savez de qui il s’agit ? » demande le réceptionniste.
— Non. Je n’ai pas trop discuté avec eux, je réponds en reprenant mes esprits.
— Parce qu’on aurait pu éviter ça pour les prochains. Vous savez quand il est arrivé ? m’explique-t-il.
Je commence à être définitivement réveillé et je me surprends moi-même de l’effort que je fournis pour détecter le ronfleur.
— Pas vraiment, j’étais déjà couché. Mais quand je suis arrivé, il y avait un Libanais de 17 ans avec qui j’ai discuté, dont le frère travaille à la réception. Ensuite, un Français est arrivé, mais il n’a pas posé ses affaires en expliquant qu’il revenait. Il voulait juste se renseigner où se trouvaient les toilettes. Je lui ai informé qu’elles étaient bien dans la salle de bain de la chambre. Puis il est parti. Je pense qu’il doit avoir des amis ici. Puis le ronfleur est allé se coucher, alors que j’étais déjà au lit, les yeux fermés depuis au moins une heure. Je l’ai aperçu parce qu’il a fait du bruit en montant dans son lit au-dessus. Il était assez imposant.
Pour ne pas dire gros, je pense à moi-même, il faut faire attention avec ça.
Le réceptionniste est rivé sur son écran.
— Oui. Je vois qui c’est dans ce cas.
— C’est dommage, je reste juste cette nuit, je prends mon train demain matin. Il n’y aurait pas une autre chambre de disponible ? demandé-je avec une petite voix bienveillante. Je me surprends de la demande et je me dis que j’ai eu du courage pour demander ça.
— Le truc, c’est que j’ai déjà fait la clôture, mais je vais regarder.
Après un moment, il m’attribue la 306 A en me priant de ramener les clés de la 302 C une fois que j’aurai récupéré mes affaires. Je monte les trois étages qui nous séparent pour déloger mes deux sacs en les remplissant pêle-mêle des affaires qui traînaient et je pars découvrir la chambre voisine. À ma grande surprise, personne ne s’y trouve. En même temps, il n’aurait peut-être pas pris le risque de me remettre dans une chambre avec potentiellement des ronfleurs. Je n’en espérais pas tant et je suis ravi de constater que la chambre est nettement plus spacieuse et possède même le seul balcon de l’étage. Une chambre pour quatre pour moi tout seul. Excité, je descends à la réception.
— Merci beaucoup ! dis-je en lui tendant la clé de la 302 C.
— Bonne nuit !
Je retourne dans ma chambre. Je n’arrive pas à dormir. Tout ce bazar a fini par bien me réveiller. Je me dis qu’il faut que je cesse de faire des économies sur tout. Je gagne ma vie maintenant, et plutôt bien en plus. Comme le dirait mes grands-parents paternels : « Le pas cher revient cher ».
Je médite là-dessus en essayant de trouver le sommeil. Faire des économies, c’est un plaisir que je tiens de ma Maman. Il y a maintenant peut-être deux ans, je l’ai renommée Maman Écureuil. Moi, c’est Bébé Écureuil.
Six heures plus tôt, je l’avais d’ailleurs en ligne pour lui expliquer ma mésaventure :
« Devine qui a fait la même bêtise que Maman Écureuil ! » Je lui annonce avec un soulagement non dissimulé, sachant qu’avec elle je peux me plaindre.
— Quoi, qu’est-ce qu’il s’est passé ? me demande-t-elle inquiète.
— Devine où je suis.
— Je sais, je vais regarder tes stories.
— Non, c’est pas dans mes stories. Je suis à Strasbourg.
— Pourquoi ?
— Je fais comme toi, j’ai pris un FlixBus pour faire Mannheim-Strasbourg avec 25 minutes de correspondance, et le FlixBus a eu plus d’une heure de retard. J’ai raté mon train. Comme il n’y avait pas d’autres TGV compris dans mon abonnement TGV Max Jeune, je dois passer la nuit à Strasbourg. Ça m’apprendra.
Ma Maman Écureuil s’était infligée bien pire pour faire des économies qui lui ont troué le porte-monnaie, plus qu’autre chose. Pour venir me voir à Brême, où je faisais mon stage de fin d’études en agence de communication, elle avait réservé un bus depuis Grenoble en direction de Fribourg. Inutile d’expliquer comment elle est arrivée bien trop tard pour monter dans l’ICE (version allemande du TGV), et que la seule option raisonnable restante était de se procurer le Deutschland Ticket (le pass rail allemand mais en mieux), pour prendre pas moins de huit trains différents, avec sept changements, pour arriver à bon port avec un manque de sommeil considérable.
« Le pire, c’était surtout ta grosse valise. »
Elle s’était traînée en plus de ça une valise de déménagement remplie de mes affaires que je lui avais demandé d’apporter.
Couché dans les draps propres de mon deuxième lit de la soirée, je pense à ma manière de procéder au changement. Un truc comme ça, ça ne doit plus arriver. Je ne peux pas me permettre de perdre de l’énergie sur des choses comme ça. Quelle idée de ne pas avoir pris le TGV direct Mannheim-Paris d’une durée de 3 h.
À ce moment-là, je me visualise déjà les choses que je veux changer, et celles vers lesquelles je veux tendre, dans le journal que je tiens. Je me dis que plus j’écris dans ce journal, plus je passerai en revue mes objectifs, et moins je ferai les mêmes bêtises. C’est de cette manière que je procède pour changer. Je liste un tas de choses, pour rendre la visualisation plus concrète. C’est la seule manière que j’ai trouvée pour être plus attentif à mes bonnes et à mes mauvaises habitudes. Je passe par l’écrit pour imaginer un autre scénario. Un scénario dans lequel je prends des décisions différentes, pour le mieux.
Je me rends alors à l’évidence : je ne vais pas trouver le sommeil si facilement. J’ai laissé la fenêtre ouverte pour sentir l’air frais entrer dans la chambre, mais j’ai forcément oublié quelque chose dans ma chambre précédente. Mon masque technique noir pour les yeux, afin de me protéger des rayons des lampadaires qui pénètrent plus brusquement par la fenêtre que l’air. Ayant rendu les clés de la 302 C, je capitule. Je me rends sur ChatGPT pour me renseigner sur le temps que met la mélatonine à faire effet, et suffisamment satisfait de la réponse, je secoue la boîte en plastique pour en faire sortir une minuscule pastille de mélatonine. Je prends une gorgée d’eau et je me force à apprécier le silence qui règne dans la pièce pour trouver le sommeil.