Ces derniers temps
Je suis à Grenoble chez ma mère. Pas sûr qu’elle ait réussi à vendre son appartement. On a eu une contre-visite qui s’est mal passée. Elle ne savait pas quels meubles laisser. On a réglé ça pendant le week-end. L'acheteur avait juste besoin d’un peu plus de clarté et ma mère de plus de préparation. La pauvre.
En plus, elle ne voulait pas s’arrêter. On a déplacé des meubles, nettoyé les vitres, et fait globalement tout ce qu’on avait à faire avant son départ pour sa vraie rentrée dans le sud. Quand on était enfin à table hier soir, elle mangeait à toute vitesse, comme d’habitude, et puis elle a sorti son téléphone pour regarder les appartements à Nice. Elle a été refusée pour le dernier appartement qu’elle aimait bien, et elle n’a pas forcément bien pris la nouvelle. Impossible de trouver quelque chose à Nice. Elle a baissé les bras.
Elle va devoir vivre chez ses parents à St Raphaël, ce qui n’est pas tout proche, évidemment. Enfin bref, ce n’est que le début d’une série de problèmes et de questions qu’elle se pose. Est-ce que l’acheteur obtiendra son prêt ? Est-ce qu’il va finir par acheter après cette contre-visite ratée ? Est-ce que tous les meubles rentreront dans le garage ?
J’avais beau lui dire qu’il n’y avait pas de choix à faire tant qu’il n’y avait pas de décision à prendre, elle continuait à alimenter son incertitude en se posant des questions qui n’en sont pas. Je m’explique.
Est-ce que l’acheteur obtiendra son prêt ? Ce n’est pas une question. Elle n’est pas même rhétorique. On n’en sait rien de la réponse. Le mieux que l’on puisse faire, ce sont des suppositions pour s’amuser à perdre son temps. Ce qu’elle voulait dire, c’est :
« J’ai peur que l’acheteur ne puisse pas finir par acheter l’appartement. Je m’en veux et je me sens coupable de ne pas avoir été assez prête pour la contre-visite concernant les meubles, d’autant plus que je crois que ça va peut-être compromettre la vente de mon appartement. Je ne sais pas quoi faire de mes meubles. C’est beaucoup de travail. Je me sens submergée. J’ai besoin d’aide. »
En fin de compte, les questions étaient simplement une manière plus indirecte d’exprimer une émotion. L’affirmation serait trop directe, trop frontale, pas suffisamment pudique. La question implique une réponse, un besoin, une action de la part de l’autre. C’est peut-être simplement une manière de dire : j’ai besoin de toi.
Après avoir commencé à lire The Culture Map d’Erin Meyer, je me rends compte qu’en France, on a tendance à avoir une communication plus indirecte qu’aux États-Unis, par exemple. Ça va peut-être vous faire rire, mais si l’ironie n’est pas totalement absente aux États-Unis, il faut souvent préciser que c’en est, avec un « just kidding ».
De la même manière, je pense qu’il y a une forme de question qui ne doit pas être prise au pied de la lettre. La question peut être une manière indirecte de faire une affirmation. Il faudrait savoir lire entre les lignes. Il faudrait pouvoir deviner ce qui se cache derrière la question. Quand je me rends compte que quelqu’un est trop fatigué pour soigner son langage ou sa manière de dire les choses, je me rassure rapidement en me disant que c’est probablement une manière maladroite d’exprimer son besoin de repos. En fin de compte, il n’y a rien à prendre personnellement. J’essaie souvent de me rappeler que je ne connais pas le quart de la vérité ou du contexte.
Bref, j’ai passé le week-end à Grenoble, et cet après-midi, je rentre à Paris. Je retrouve l’appartement dans lequel j’habitais quand j’étais étudiant. Mon cousin Mathieu y a habité pendant sa dernière année scolaire. Je le lui avais proposé alors qu’il rentrait de Singapour pour commencer ses cours à l’ESSEC, et que de mon côté, je quittais Paris pour me rendre à Brême, où j’allais travailler pour mon stage de fin d’études de six mois. Lui en avait besoin pour une année entière, donc l’appartement n’était pas disponible quand j’ai fini par me décider de m’installer à Paris, ou du moins d’y avoir un pied-à-terre. C’est un endroit où je peux poser mes bagages en France et rassembler toutes mes affaires au même endroit. C’est pour ça que j’ai gardé mon petit studio parisien. Il fait moins de 15 m², mais comme je suis plutôt ordonné, ça se passe bien. Je n’ai pas besoin de plus. Je m’en contente bien. Je me sens bien comme ça. C’est un cocon, certes sombre, mais tant que je sors prendre la lumière, un peu comme un insecte, je ne déprime pas trop. Ce n’est pas une cave non plus. C’est juste un appartement qui donne sur une cour étroite au 1er étage.
J’ai hâte d’y retourner, mais j’attends de ne plus avoir les affaires de mon cousin pour vraiment m’y installer. De son côté, il a du mal à trouver son prochain appartement à Paris, mais il n’était vraiment pas fan du cocon que je lui avais laissé. Trop petit, pas assez de lumière. Disons qu’il n’est peut-être pas aussi ordonné que moi. Un petit espace, ça convient d’autant moins.
Il aimerait faire une colocation avec ma sœur Louise et son amie Marie-Mathilde. Inutile de dire que personne ne veut d’une colocation à trois à Paris. Ma sœur, qui est à Skema, fait son alternance à Paris. Elle y sera trois semaines sur quatre, puisque ses cours, qui auront lieu une semaine par mois, se dérouleront à Sophia Antipolis dans le sud de la France, où elle logera chez nos grands-parents. Comme les loyers sont chers et les propriétaires exigeants, ils ont déjà dû se rabattre sur des offres à deux chambres avec un salon convertible, plutôt que d’avoir chacun leur chambre, un luxe (ou simplement de l’intimité en fin de compte) qu’ils ne peuvent pas se permettre.
Bref, Mathieu a encore toutes ses affaires chez moi.
De toute façon, cette semaine, je ne reste pas en France très longtemps.