Ungefiltert
Ce lundi matin, je me suis réveillé chez Romy à Mannheim. Fabian était parti, donc j’ai pu dormir dans un lit. J’ai beaucoup mieux dormi. Je me suis aussi couché bien plus tôt.
Quand on a enfin réussi à quitter l’appartement dimanche matin, aux alentours de 13h, on s’est dirigés vers le Wasserturm, le château d’eau de Mannheim. C’est un peu le symbole de la ville, tout comme la tour Eiffel l’est pour Paris. J’ai proposé qu’on se réfugie dans le Starbucks qui se trouvait juste en face, mais Romy m’a assuré qu’il y avait un meilleur café de l’autre côté, le Dolce Amaro. On a commandé deux allongés, et j’ai sorti de mon sac le journal dans lequel j’écris à la main pour moi-même, en me disant qu’il était grand temps de s’y remettre cette semaine.
Je me suis beaucoup concentré sur l’écriture pour mon site internet ces derniers temps, parfois au détriment de mon travail et de mes autres habitudes. J’aime voir ça comme une « période ». J’ai eu ma période piano, ma période gym, ma période Instagram, alors pourquoi pas une période écriture ? Le fait que j’appelle ça une période, c’est bien parce que je sais, ou du moins je pars du principe, que ça ne durera pas éternellement. C’est presque décourageant parfois de commencer quelque chose en se disant que ça doit durer. Autant laisser tomber que de s’imposer ça.
De mon côté, je commence pour tester quelque chose de nouveau. Ensuite, je me demande si ça vaut la peine de continuer, en sachant très bien que c’est souvent quand on persiste, alors que d’autres abandonnent, qu’on obtient des résultats différents.
On en parlait justement avec Romy. Ça fait un moment qu’elle veut lancer un podcast. Moi aussi d’ailleurs, mais la différence, c’est qu’elle a déjà enregistré son premier épisode hier, avec moi comme invité. Le podcast s’appellera « Ungefiltert », un podcast en allemand « sans filtre », sans montage ni préparation, pour laisser place au naturel. Je peux témoigner du fait qu’il manquait de structure. C’est d’ailleurs le retour que j’ai fait à Romy en lui partageant des exemples de podcasts que j’écoute. À voir si elle en tiendra compte. En tout cas, je ne pense pas être trop désavantagé dans les rushs, et l’ambiance du tournage était suffisamment sympa pour que le premier épisode soit utilisable.
L’enregistrement a duré 38 minutes. Romy était satisfaite du résultat. Moi, j’avais forcément des remarques à faire, mais je pensais surtout au restaurant coréen où nous avions réservé une table, après être sortis du Dolce Amaro avec une faim modérée. En chemin, Romy m’expliquait que le podcast serait un hobby, sans grande ambition. Je lui ai alors fait remarquer que si elle commençait comme ça, elle pouvait être sûre que ça ne décollerait jamais.
Ce qu’elle cherchait certainement à faire, c’était de baisser la pression pour se sentir plus à l’aise. C’est effrayant de commencer quelque chose de nouveau, surtout quand on n’est pas sûr d’être à la hauteur. Mais est-ce vraiment une raison pour ne pas se fixer d’objectifs ambitieux ?
Je ne sais pas si elle apprécie particulièrement que je la challenge de cette manière. Elle me dit souvent : « Il n’y a qu’avec toi que je peux faire ce genre de choses ! », en référence aux photos, vidéos, plans foireux, soirées et, aujourd’hui, podcasts que nous faisons ensemble. Je pense qu’elle reconnaît que c’est un point positif, que j’essaie de la sortir de sa zone de confort. De mon point de vue, je ne me prive tout simplement pas de lui faire part de mon agacement, en espérant qu’elle change un peu.
Ce qui est agréable, c’est qu’elle est plutôt ouverte à mes propositions. Alors qu’on quittait l’appartement pour aller au restaurant, je lui ai suggéré :
« Ça te dit de laisser nos téléphones ici ? On prend deux bouquins, et on se trouve un café où l’on pourra se déconnecter en lisant pendant une heure. C’est rien, une heure, non ? »
Elle a dit oui. Il faut dire que les téléphones, c’est vraiment un truc qui m’agace. Je ne sais pas si c’est parce que moi-même je passe trop de temps dessus et que je reconnais en elle mon propre défaut, ou si c’est parce que je crains que de la voir sur son téléphone me pousse à faire pareil.
Ce qui est étonnant, c’est qu’elle en a elle-même conscience. Pendant l’enregistrement du podcast, elle avait remarqué d’elle-même qu’on perdait beaucoup de temps sur cet outil. J’ai rebondi en disant que la meilleure question à se poser pour gagner du temps, c’est de se demander : quelle est l’activité qui me bouffe le plus de temps et que je devrais à tout prix restreindre ? « Ungefiltert » est parti en podcast de développement personnel, probablement parce que j’ai voulu y ajouter mon grain de sel.
Pendant que j’écris ces mots ce lundi matin, Romy est d’ailleurs assise à côté de moi et passe en revue les passages du podcast qu’elle a monté sur CapCut.
Quoi qu’il en soit, nous sommes partis au restaurant sans nos téléphones, sans prendre de photos de nos plats et sans répondre à des messages qui pouvaient attendre. Puisque nous avions réservé « à l’allemande », c’est-à-dire à 18h pour le restaurant, nous nous regardions dans le blanc des yeux à 19h, nos assiettes vides. J’ai annoncé que c’était le moment de passer à la partie deux de mon plan : la lecture.
Au Starbucks en face du Wasserturm, je suis allé au comptoir pour commander, après avoir ordonné à Romy de rester bien assise aux meilleures places avec vue sur le château d’eau, sachant que ça m’aurait agacé de lire dans un endroit moins sympa. Après recommandation, j’ai sélectionné la seule boisson chaude disponible sans théine ni caféine. C’était un thé à la menthe, que la serveuse a servi dans les gobelets en carton habituels. Je me suis permis de réclamer des tasses pour un minimum de classe, et j’ai filé m’assurer que notre place était toujours libre.
Je me suis installé sur les chaises basses les plus confortables que ce Starbucks avait à offrir, mais malgré tout avec un mal de dos persistant. Depuis que je suis passé à une injection d’Imraldi toutes les trois semaines avec un stylo injectable, j’ai probablement perdu le compte des semaines. Je suis persuadé d’être en retard sur mon traitement contre ma spondylarthrite ankylosante, et j’ai expliqué à Romy que c’était sûrement la raison de mes douleurs au ventre et au dos ce dimanche-là. Ensuite, j’ai déclaré qu’il était temps de lire, et Romy s’est exécutée. Elle a sorti de sa bibliothèque le bouquin en allemand qu’elle m’avait recommandé et a pris son livre féministe, qu’elle n’a pas réussi à lire, faute d’intérêt et d’alignement avec les idées, en plus du bruit des tasses qui s’entrechoquaient. En sortant du Starbucks une heure plus tard, elle m’a expliqué qu’elle n’en pouvait plus du chaos provoqué par le rangement et le nettoyage des lieux, juste avant la fermeture. Pour une fois, c’était elle qui était agacée.
J’avais fini « L’impossible retour », le dernier livre d’Amélie Nothomb, en descendant à Munich. Romy m’avait suggéré « Das Café am Rande der Welt » de John Strelecky, alors qu’on rassemblait nos affaires pour sortir quelques heures plus tôt. C’est un livre initialement écrit en anglais sous le titre « The Why Café ».
Ce n’est peut-être pas toujours le cas, mais mon expérience jusqu’à présent est que les livres en anglais sont écrits simplement. Il y a rarement de longues phrases alambiquées. La traduction est d’autant plus agréable à lire. Ma meilleure expérience dans ce domaine a été avec « L’Art subtil de s’en foutre » de Mark Manson. Le lire en français était tellement rafraîchissant. Aucun auteur français n’écrit de cette manière, avec tant de tact, un langage légèrement familier, de l’humour, de l’autodérision. Bref, en commençant mon heure de lecture, au plus grand désespoir de Romy qui n’arrivait pas à se concentrer, j’ai redécouvert la simplicité de l’écriture américaine, mais cette fois-ci à travers l’allemand.
48 pages plus tard, Romy me signale pour la troisième fois qu’il est bientôt 20h. Je lui explique, inflexible, qu’on partira à 20h pile. Elle continue à regarder dans le vide, puis on finit par partir. Sous la lumière des lampadaires et le coucher de soleil au bout de la rue am Planken, nous rentrons pour nous coucher de bonne heure et bien commencer la semaine.